D’aussi loin que je me souvienne, j’ai lu. Mes parents se sont plu à raconter pendant des années que j’ai déjà arpenté le corridor de la maison familiale en m’exclamant « où est mon livre tab** »; j’avais environ 3 ans, on me remit dans le droit chemin rapidement (la rumeur veut que j’aie été à la recherche de Cendrillon, celui avec les souris). J’ai eu la chance de grandir dans un environnement qui favorisait la lecture et la curiosité. Mes heures de loisir étaient consacrées à Achille Talon et Agatha Christie, j’ai lu au moins cent fois le fabuleux Surréal 3000 de Suzanne Martel et j’ai pigé dans la bibliothèque familiale les Anne Hébert et Michel Tremblay qui s’y trouvaient. Je m’arrête ici, la liste serait longue. Cette brève ouverture me permet toutefois de dire que si les livres ont toujours fait partie de ma vie naturellement, au sens où ils allaient de soi, je constate que pour plusieurs de nos concitoyennes et concitoyens il n’en va pas ainsi. Sans même aborder la question de l’internet et de la compétition numérique, nous ne pouvons fermer les yeux devant les immenses enjeux de littératie et d’accessibilité qui minent le monde qui nous entoure.
Dans un univers d’abondance de propositions culturelles, les éditeur·trice·s sont appelé·es à jouer un rôle déterminant. Polyvalent·e·s, débrouillard·e·s, curieux·ses, habiles en gestion, en ressources humaines, en diplomatie nationale et internationale, capables de manipuler des documents Word aussi bien que des fichiers Excel, acrobates de la langue et de la conception graphique, fluides en animations et organisations d’événements culturels, déménageurs·ses de boîtes, fin·e·s connaisseurs·ses des programmes pédagogiques et (peut-être) testeurs·ses de recettes, ces spécialistes permettent à des millions de lectrices et de lecteurs d’entrer en contact avec des œuvres de toute nature. Il m’arrive encore de devoir me pincer quand je repense à la lectrice que j’étais, celle qui se demandait quelle porte secrète il lui faudrait franchir pour faire partie de ce monde extraordinaire. Voilà que, non seulement je fabrique des livres, avec une merveilleuse équipe qui me soutient dans mes engagements associatifs, mais je partage cette aventure avec vous, mes remarquables collègues de l’ANEL.
Les éditeur·trice·s jouent un rôle fondamental dans la conservation et la transmission du patrimoine. Sans les rééditions des œuvres d’ici, sans leur disponibilité sous plusieurs formats, c’est tout un pan du passé qui serait appelé à disparaître, oublié au même titre que les noms de celles et ceux qui l’ont forgé. Ce constat est aussi vrai pour le présent, voire pour l’avenir; sans l’expertise et le savoir-faire des éditeur·trice·s, des milliers de voix ne seraient pas entendues. C’est cette contribution essentielle que je souhaite soutenir et défendre, considérant que tous les acteurs de la chaîne du livre gagnent à ce qu’un équilibre sain soit atteint et maintenu. Vaste programme, me direz-vous. Je vois grand, vous répondrai-je. Heureusement pour moi, l’ANEL peut compter sur une directrice générale incomparable et sur une équipe permanente aguerrie, de même que sur des administratrices et administrateurs hors pair; de nombreux défis nous attendent mais j’ai confiance en notre force collective, grâce entre autres aux efforts considérables déployés par celles et ceux qui m’ont précédée.
Maintenant que je suis grande je perds encore mes livres, et quand je les retrouve, je me dis que j’en ai de la chance, quand même, d’être entourée de ces objets fabuleux.
Geneviève Pigeon, Les éditions de L’instant même
Crédit photo : Jean-Marie Lanlo